LA LIBELLULE, LE COMEDIOLOGUE ET LA METAMORPHOSE (suite)

Le Singe, qui ne s’était pas encore manifesté, arrêta le jeu tout net. Un silence se fitIl s’approcha doucement de Lucille :
- Je m’appelle Guido.
Lucille reprit immédiatement ses esprits et répliqua sèchement:
- Arrêtez de vous moquer de moi et laissez-moi partir, je n'ai pas de temps à perdre avec vous tous ! 
Ils ne sont pas méchants, ils s’amusent ! C’est juste un jeu !
- Pfff ! Un jeu ! Vous appelez ça un jeu ? Je suis sérieuse, moi ! Je fais des choses sérieuses !
- Ah ça, je n’en doute pas.
- Comment ça, vous n’en doutez pas ?
- Ca se voit !
Ca se voit ?

La Fourmi, qui jusque là n’avait rien dit, renchérit sur un ton hautain :
- Mais oui ma chérie, tout ton corps le dit !
- Mon corps ? Qu’est-ce qu’il dit mon corps ?
- Toute raide, les sourcils froncés, la mâchoire serrée. Ca pour sûr, tu es sérieuse !
- Arrêtez ! Je n'en peux plus ! cria Lucille au bord des larmes. 

Guido, fit signe aux animaux de s'écarter et se rapprocha d'elle tendrement. D'une voix posée, il s'adressa à nouveau à elle :
- Lucille, tu n’es pas arrivée ici par hasard. Si tu es là, c’est que tu as besoin de quelque chose. Qu'est-ce tu aimerais qu’il se passe ? 

- J’aimerais retrouver le plaisir de voler.
- Le plaisir de voler.
- Oui, c’est ça, avant je n’y pensais même pas, je volais toute la journée, légère, je changeais de direction comme je voulais. C’était facile.
- Avant ?
- Oui, avant que l’étang ne se dessèche, avant qu’il n’y ait plus d’eau.

- Qu’est-ce que tu pourrais faire maintenant ?
- Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue.
- Alors, instantanément, tous les animaux se mirent à chanter à l'unisson : "Fais comme l’oiseau, ça vit d’air pur et d’eau fraîche
un oiseau !…Mais jamais rien ne l'empêche l'oiseau, d'aller plus haut !"

Après un temps de stupéfaction, Lucille comprit que les animaux ne lui voulaient aucun mal. Elle se rendit compte du comique de la situation et tout le monde éclata de rire.
- Veux-tu que je t’aide à retrouver le plaisir de voler ?
- Oui !

- Es-tu prête pour le grand voyage ?
- Je suis prête.


Les mois qui suivirent, Guido emmena Lucille sur différents chemins. Parfois, il mettait de la musique et ils dansaient, dansaient pendant des heures, en ne pensant à rien.  "Juste suivre les mouvements instinctifs de ton corps", disait-il. Lucille ne comprenait pas toujours où il voulait en venir mais ce n'était pas grave, elle s'amusait tellement ! D'autres fois, il lui ramenait des costumes, des masques, des foulards, des nez de clown... Il lui faisait jouer toutes sortes de personnages en lui faisant prendre des intonations différentes. Que c'était drôle ! Elle apprenait à respirer, à dire un texte. Elle improvisait. Au début, elle essayait, faisait de son mieux. Et plus elle essayait, plus elle s'amusait. Plus elle s'amusait, plus c'était facile. De temps en temps, ils se posaient pour parler, pour prendre du recul et observer le chemin parcouru.

Et puis, vint le jour où Guido lui dit avec malice :
- Le moment est arrivé, Lucille, que tu voles à nouveau de tes propres ailes.
- Je te remercie Guido du temps passé en ta compagnie. Je sais maintenant qu'en reprenant le chemin de mon corps, je vois les choses sous un autre angle. Je sais que j'ai la capacité de concrétiser mes désirs. Je sais que tout est possible.
- Et qu'est-ce que ça change, pour toi, de savoir tout ça ?
- Je peux, maintenant, partir à la recherche d'un nouvel étang.
Lucille, qui s'apprêtait à prendre son envol, se retourna :
- Merci Guido.
- Merci à toi Lucille. Bonne route.

 

Ranita, une petite grenouille verte, était cachée non loin de là. Depuis le début du voyage elle n'en perdait pas une miette. Elle avait suivi toutes les conversations entre la Libellule et le Singe. Elle avait entendu que Guido était comédiologue. Elle avait bien pensé au début qu'il était magicien. Mais c'est Lucille qui était une fée. Simplement elle l'avait oublié. C'est elle qui avait fait tout ce chemin de métamorphOse. Ca n'avait pas toujours été confortable mais Lucille avait fait preuve de ténacité. Elle avait franchi les obstacles avec courage, avait accepté d'être bousculée dans ses habitudes. Elle s'était surpassée parce qu'elle avait confiance en Guido. Lucille avait retrouvé le plaisir de voler. Ses ailes avaient repris leurs couleurs chatoyantes. Un vol sans effort l'amena à son nouvel étang. Lucille était redevenue Lucille et Ranita brûlait d'impatience de vivre l'expérience à son tour.

Allait-elle se transformer en princesse ? En reine ?  …  

Frédérique Dufour

« On a sa propre source en soi-même. »
Sri Ramana Maharshi